Une borne[1] d’octroi est un dispositif utilisé principalement entre le XVIème et le XIXème siècle dans les villes françaises pour signaler et délimiter les zones où l’octroi était perçu. L’octroi était une taxe indirecte perçue sur les marchandises entrant dans une ville. Elle était payée par les commerçants et les marchands lorsqu’ils entraient dans la ville avec leurs produits. Cette taxe servait à financer les dépenses publiques, comme l’entretien des routes, des fortifications ou des infrastructures urbaines.
L’ordonnance du 9 décembre 1814 énumère les marchandises qui peuvent être taxées : boissons et liquides, comestibles, combustibles, fourrages et matériaux. En revanche, les produits de première nécessité, tels que blés et farines, sont exclus.
Les bornes d’octroi étaient donc placées à l’entrée des villes ou à des points stratégiques (ponts, portes de ville) pour marquer le lieu où cette taxe devait être réglée. Elles étaient souvent en pierre ou en métal et portaient parfois des inscriptions indiquant le montant de la taxe à payer ou des détails sur l’application de l’octroi.
Les droits d’octroi établis sur la consommation intérieure des villes, pour subvenir à leurs dépenses, ont une origine assez ancienne et si le mot date de 1611, les droits d’octroi remontent en France au XIIème siècle, sous Louis le Gros. Le plus ancien octroi connu est évoqué dès le XIIème siècle, à Paris, et servait à financer l’entretien des fortifications et les travaux d’utilité publique. D’après la thèse d’Eugène Weill, Le régime des octrois (Nancy, 1899), ils ont des origines encore plus anciennes. Il rappelle, dans sa première partie, que cet impôt existe depuis longtemps, c’est l’héritier des droits de port athéniens et des portoria[2] romaines.
La révolution de 1789 a soulevé tout un peuple esclave d’un état Royal qui étalait sa magnificence sans se soucier de son peuple saigné à blanc, par les collecteurs des impôts et privé de liberté. L’octroi fut provisoirement supprimé en 1791, et rétabli par la loi du 24 février 1800. Ces neuf années furent un temps de gêne et de difficultés financières pour les villes mises hors d’état de soutenir leurs dépenses, par le retranchement de la branche la plus productive de leur revenu. Au début du XIXème siècle, l’État ordonna qu’il soit fait, sur le revenu net des octrois, un prélèvement à son profit. Primitivement fixé à 5% le prélèvement passe à 10%.
A nouveau, la révolution de 1848 se fait aux cris de : « Vive la réforme ! A bas les octrois ! ». Le 3 décembre 1851, sur proposition de Victor Hugo, les députés, restés libres[3], rendent le décret suivant : « Les octrois sont abolis dans toute l’étendue du territoire de la République ». Néanmoins, ce décret ne sera jamais appliqué par Napoléon III, y compris à partir de 1860 dans un régime plus « libéral ».
Le 12 septembre 1885, la suppression des octrois, adoptée en réunion publique et ratifiée par le corps électoral, est décidée au plan national. Cependant, aucune mise en application ne suit ces décisions et l’octroi perdure, poussant les entreprises à « délocaliser » leur activité en banlieue. Des guinguettes s’installent de l’autre côté des barrières, là où le vin, hors taxes, coule à flots.
En 1897, une loi votée par les députés permet aux maires de supprimer l’octroi, mais sans compensation pour les municipalités qui ne renoncèrent pas à cette taxe.
Cette taxe n’a pas été abolie par la disparition des murs d’enceinte. Il a fallu attendre 1948 pour qu’elle disparaisse complètement en France. Tout d’abord, un terme est mis à l’existence pluriséculaire des octrois le 2 juillet 1943 par Pierre Laval, chef du gouvernement du régime de Vichy[4]. Le journal le petit parisien du 1er juillet 1943 annonce cette suppression qui fut déclarée et reconnue officiellement en 1948.
Au niveau local, la mise en place des bornes de l’octroi à Saint-Hilaire de Brethmas est indissociable de l’histoire de la ville d’Alès. Dans la sous-préfecture du Gard, c’est en 1927 que le conseil municipal dirigé par le maire Fernand Valat décide d’abolir l’octroi. Il institue, par contre, des taxes de remplacement que le receveur municipal encaisse de 1928 à 1931 jusqu’au moment où le Conseil d’État les déclare illégales. La ville a dû alors émettre un emprunt pour rembourser les sommes indûment perçues.
Les bureaux d’octroi qui prirent, à la fin du XIXème siècle, la forme de petits pavillons équipés d’une bascule, ne se situaient pas aux limites, mais habituellement plus à l’intérieur de la ville. En 1884, le bureau qui contrôlait l’entrée, par la route de Nîmes, fut reconstruit au mas de Nègre à l’extrémité de l’actuelle avenue Carnot, en surplomb sur le lit du Gardon.
A Saint-Hilaire de Brethmas, la borne du moulin du Juge vient d’être repositionnée à son emplacement de la fin du XXème siècle, chemin des vignerons, devant le Mas Thérond au débouché du chemin du Mas de Pérau. Sous la municipalité précédente, il a été décidé de la positionner sur la route d’Uzès (devant le garage Nissan) afin de la rendre plus visible. Malheureusement, localisée sur un axe très passant, à vive allure, ce ne fut pas le cas. En 2025, elle a été repositionnée à son précédent emplacement. Néanmoins, sur un plan de Larnac[5] datant du début du XIXème siècle une borne de l’octroi[6] apparaît sur la route d’Alès à Uzès, aujourd’hui route d’Uzès, à l’intersection du chemin de Larnac à Salindres aujourd’hui chemin de Saint-Étienne à Larnac. D’après le plan, la borne était située entre ce que sont aujourd’hui le chemin de St-Étienne à Larnac et le chemin sous Larnac, côté gauche de la rue en direction d’Alès, c’est-à-dire quasiment à l’emplacement choisi jusqu’en 2025 mais de l’autre côté de la route. L’inscription « Octroi d’Alais », est gravée sur cette pierre en forme de stèle, haute d’1,70 m[7]. Ce qui la rend particulièrement insolite, c’est non seulement sa situation largement à l’intérieur de la commune de Saint-Hilaire, mais le fait que, si l’on se rend de ce lieu à Alès par le Mas Bruguier et la route nationale[8], on rencontre à la limite communale une borne semblable[9]. Peut-être, la municipalité d’Alès a-t-elle voulu imposer un droit d’entrée aux marchandises arrivant chez elle par la route principale, mais dispenser de payer ce droit les paysans proches des limites de la ville. C’est une explication suggérée par Michel Wienin[10].
Une autre borne, similaire, se trouve route de Nîmes, elle a elle aussi été déplacée à deux reprises depuis le début de s années 2000 et se trouve officiellement sur la commune d’Alès. Elle a été temporairement positionnée dans le rond-point de l’intersection entre la route de Nîmes et la route d’Uzès (devant un fleuriste) avant d’être installée ici. Elle était auparavant 50 mètres plus au sud à l’intersection des communes de Saint-Hilaire et d’Alès ce qui correspondait plus précisément à son bon positionnement géographique.
[1] Altération de l’ancien français bodne (1121), du latin médiéval bodĭna, butĭna « arbre frontière », d’origine obscure, peut-être du gaulois budina. Par extension, les bornes milliaires du système romain servant à comptabiliser chaque distance de mille pas (1 482m) ce qui est en réalité un double pas de la légion qui se déplace ; un pas est donc un pas gauche et un pas droit. Par extension, on trouve également nos bornes du système métrique implantées tous les kilomètres et qui ont donné des expressions populaires : il reste « 30 bornes à parcourir » soit 30 km. Ou encore « dépasser les bornes » se dit d’une personne qui exagère dans son comportement, qui va trop loin, c’est-à-dire qui va au-delà de la borne.
[2] Les portoria, dérivé de portus (port) sont, dans la Rome antique, les perceptions faites au titre des droits de port, des droits de douane ou de péage.
[3] Nous sommes le lendemain du coup d’État de Napoléon III, survenu le 2 décembre 1851.
[4] Loi du n°379 du 2 juillet 1943.
[5] Hameau du nord-ouest de la commune et limitrophe d’Alès.
[6] Nommée pierre d’octroi sur le plan.
[7] Assez profondément enfoncée dans le sol pour assurer sa pérennité.
[8] Route de Nîmes.
[9] Cette borne a voulu être récupérée par le maire d’Alès, Max Roustan, au début des années 2000 afin de la positionner à Alès au rond point de la pierre plantée à l’intersection entre la route de Nîmes et la route d’Uzès (au rond-point devant Lola fleurs). Elle a été gardée par la municipalité de Saint-Hilaire pour la positionner devant l’opticien Krys route de Nîmes soit 50m plus au nord que son emplacement d’origine à savoir la limite communale exacte entre Alès et Saint-Hilaire de Brethmas. On peut encore distinguer, dans le muret en pierre, son emplacement d’origine.
[10] Scientifique et spéléologue chevronné, président de la Société Cévenole de Spéléologie et Préhistoire d’Alès.