La cave coopérative, reflet d’un terroir en mutation.

La cave coopérative, reflet d’un terroir en mutation.

Origine.

Avant l’ouverture de la cave de Saint-Hilaire, les viticulteurs portaient leur production à celle de Vézénobres créée en 1923[1]. D’autres familles comme, par exemple, la famille Roussel[2] produisent et stockent leur vin dans des cuves situées au sous-sol de leur mas. L’ouverture de la cave de Saint-Hilaire va donc faciliter la vie des agriculteurs de la commune.

Elle est créée tardivement en 1950, à l’origine c’était un petit bâtiment. Après l’hiver particulièrement vigoureux de 1956 (gel, mildiou…) partout la récolte fut faible, l’État décida alors de garder des stocks dans les caves coopératives. Les caves s’agrandissent, c’est ainsi que le bâtiment initial de la cave de Saint-Hilaire prit l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui. La cave se dote d’équipements qui permettent d’obtenir une meilleure qualité de vins rouge et rosé[3]. En 1960, on lui adjoint une maison d’habitation pour le gérant. La cave joue rapidement un rôle central sur la commune de par sa position géographique et de par le développement du quartier autour de la cave. Une délibération du 12 mars 1950 évoque l’autorisation de construire un transformateur électrique dans le quartier du Moulinas qui sera accolé à celui de la cave.

Développement de la cave.

La cave comptait environ 250 coopérateurs venus de Saint-Hilaire et des communes voisines ; au début la durée d’engagement des coopérateurs était de 50 ans, puis, dans les années 1980, elle passa à 30 ans. Pour y avoir accès, il fallait un droit de plantation pour la vigne. Parmi ces coopérateurs, les viticulteurs, bien sûr, mais aussi des petits producteurs, pour lesquels il s’agissait d’une activité secondaire et dont la production ne pouvait être vendue puis devait être prise dans l’année ; ainsi, tous les vendredis, ils venaient chercher leur vin pour leur propre consommation « familiale » ; le fameux « vin de table » faible en degré et bu « comme de l’eau » dans les familles. Durant l’entre-deux guerres, la commune recevait régulièrement des demandes de subvention à l’APV[4], documents dans lesquels l’association vantait les bienfaits du vin. Elle a lancé la campagne « vin compris » dans les restaurants et affiche dans les autobus « donnez la préférence aux restaurants vin compris ». Elle multiplie les affiches (d’un autre temps) sur les routes nationales « Le vin est un aliment, buvez du vin » ; « un repas sans vins, est une journée sans soleil. »

Pour revenir à la cave de Saint-Hilaire, pendant les vendanges, on pouvait voir, parfois jusqu’à 22h, un défilé de charrettes faire la queue devant. Elles devaient passer sur le pont-bascule (situé sur le devant de la cave) où elles étaient pesées en charge, puis à vide au retour. Dans les années 1970-75, les dernières mules et les derniers chevaux firent place aux tracteurs et « pastières[5] ».

Répartition et vente.

Au début, la répartition se faisait sur le nombre de kilos, c’est-à-dire sur la quantité de raisins amenée à la cave par chaque coopérateur. Le vin produit n’était pas de bonne qualité, plus tard, pour l’améliorer on utilisera le kilo-degré[6]. Le choix de cette unité incita à la qualité, cela eut pour effet de remplacer les vieilles vignes et d’encourager la plantation de cépages supérieurs, plus nobles, comme par exemple l’aramon[7]. A l’origine, la cave ne faisait que la vinification, chacun vendait sa quantité de vin à des courtiers. Puis, on passa à la vente en commun ; c’est la coopérative qui se chargea alors de la vente du vin.

D’après le maire, Maurice Saussine en fonction de 1955 à 1970, la cave a été agrandie à trois reprises pouvant contenir jusqu’à 33 000 hectolitres avec la venue de viticulteurs de tous les environs : Alès, Mons, Saint-Privat des Vieux, Salindres, Monteils, Euzet, Saint-Christol lez Alès, Saint-Martin de Valgalgues.

En 1979, la maison de l’agriculture de Nîmes a recensé 263 hectares de vigne cultivés sur la commune dont 259 hectares de vin et 4 de raisin de table. En comparaison, les céréales ne représentaient que 136 hectares avec une grande majorité de blé, un peu de maïs et de tournesol.

En 1987, la vigne atteint même 280 hectares et la production est d’environ 30 000 hl. Il faut dire que l’implantation du vin sur la commune a des origines lointaines. Dans le livre de l’abbé René André Saint-Hilaire de Brethmas aux portes d’Alès, des vignes sont signalées, sur la commune, dans la charte de 810 de l’abbesse Aussinde. On buvait du vin de l’année et l’on commençait à le consommer quelques semaines seulement après les vendanges.

Les raisons d’une fermeture précoce.

Sensibles aux primes d’arrachage, beaucoup de viticulteurs ont préféré supprimer les vignes vieillissantes. On perdit ainsi, chaque année, de nombreux hectares de vigne, la production chuta : de 30 000 hectolitres par an, on passa rapidement à 12 000. Devant la baisse constante de production de vin, la situation financière ne permit plus de payer le gérant ; on chercha à se regrouper avec une cave voisine, ce fut celle d’Euzet. La cave coopérative de Saint-Hilaire ferma en 1995 : une partie du matériel fut achetée, d’abord, par Euzet, puis, par la mairie de Saint-Hilaire pour plus d’un million de francs. La maison d’habitation du gérant fut vendue séparément à un particulier.

Au début des années 2000, selon M. Pinard (sans mauvais jeu de mots) le gérant de la cave coopérative d’Euzet, les ex-coopérateurs de Saint-Hilaire représentaient le quart environ des 40 000 hectolitres que vinifie sa cave. La pression de l’urbanisme, les primes de la PAC[8] ont également stimulé les arrachages ; le terrain à bâtir rapportant plus que le terrain à cultiver[9]. Ce phénomène se produira sur de nombreuses parcelles, ce qui modifiera en profondeur le paysage de Saint-Hilaire.

Propriété de la commune qui réfléchit toujours à son utilisation, certains auraient bien vu une implantation de la future mairie et une concentration des services techniques sur ce site équidistant du vieux village et de la Jasse. Il fut envisagé d’en faire une salle associative puis, en raison de l’hygrométrie particulière, une salle d’archivage pour professions libérales. A partir de 2014, il fut successivement envisagé d’en faire un site d’escalade, une salle de spectacle intercommunale. L’Omnisports de Saint-Hilaire y a eu son siège durant quelques années. Depuis 2022, les archives municipales y sont entreposées. Les cuves en béton armé ont été louées, un temps, à un négociant vinificateur privé.

 

Lors de la fermeture de la cave de Saint-Hilaire, le mouvement de regroupement des caves se poursuit. Selon le président de la Fédération gardoise des caves coopératives, (association créée en 1926) Denis Verdier : « il y a, au début des années 2000, 110 caves coopératives dans le Gard. L’idéal serait qu’il y’en ait d’ici deux ans moins de 80 ». Espérons que la cave coopérative d’Euzet survivra et que les derniers viticulteurs saint-hilairois n’auront pas des kilomètres supplémentaires à parcourir pour livrer leurs raisins.

 

En 2020, dans le Gard, près de 60 caves coopératives sont encore en fonctionnement, d’autres ont aujourd’hui des vocations différentes, où le bâtiment a pu être transformé, par exemple, en restaurant, ou en salle de spectacle. Le monde change vite… Ainsi en est-il de la viticulture et de ses coopératives : avec une durée de vie exceptionnellement courte (45 ans), la cave de Saint-Hilaire illustre, malheureusement, ce phénomène d’obsolescence dans le monde agricole.

[1] La toute première cave est née dans l’Hérault en 1901.

[2] Présentée dans l’ouvrage, Histoires d’un autre temps, G. Drolet.

[3] Mise en place de postes de réfrigération et d’égouttage.

[4] Association de propagande pour le vin.

[5] Benne basculante utilisée pour le transport des raisins entre la vigne et le cuvier.

[6] Le degré d’alcool, souvent indiqué en pourcentage, mesure la quantité d’alcool éthylique présente dans le vin. Ce chiffre est le résultat de la fermentation alcoolique, où les levures transforment les sucres des raisins en alcool et en dioxyde de carbone. Le degré d’alcool est crucial, car il affecte directement le goût, les arômes et même la texture du vin. Pour obtenir 1% d’alcool dans le vin, il faut 17 grammes de sucre par litre. Ainsi, si un vin contient 10% d’alcool, cela signifie qu’il a transformé 170 grammes de sucre par litre. En raison du réchauffement climatique, les raisins deviennent plus sucrés et donc les vins plus forts.

[7] L’aramon est un cépage français de raisin noir de production de masse. Il a marqué la production de vin de table pendant un siècle avant que la mode des vins de cépage ne le relègue à une production de plus en plus anecdotique.

[8] Politique Agricole Commune de l’Union Européenne.

[9] Pour le prix d’un m² le différentiel entre un terrain à cultiver et un terrain à bâtir est d’environ 1 pour 60.